Francisca Beer & Fabrice Hervé & Mohamed Zouaoui, 2013. "Is Big Brother Watching Us? Google, Investor Sentiment and the Stock Market," Economics Bulletin, AccessEcon, vol. 33(1), pages 454-466.
Résumé de l'article
Ce papier s'intéresse a une nouvelle mesure du sentiment des investisseurs en utilisant les requêtes effectuées par les internautes sur Google. L'avantage de ce type de mesure par rapport à un sondage d'opinion classique se situe à la fois dans le timing en quasi temps réel et dans le large panel d'utilisateurs qu'il est possible d'analyser, mais aussi dans le fait qu'une recherche sur Google est une action réelle tandis que la réponse à un sondage est une "déclaration" d'un sentiment (biais potentiel de la réponse). L'analyse du comportement des individus via les requêtes Google reflète la philosophie de la finance comportementale, en introduisant des investisseurs peu sophistiqués ayant des comportements imparfaits (biais cognitif, sociaux et émotionnel).
Les auteurs utilisent le General Inquirer dictionary d'Harvard afin d'identifier une liste de mots évoquant le pessimisme, en accord avec le domaine de la psychologie expliquant que "bad is stronger than good" et avec la littérature financière montrant que la fréquence d'utilisation des mots "négatifs" est un meilleur indicateur du sentiment des individus. Les données hebdomadaires sont extraites de Google Trends, en focalisant sur la zone de recherche France et en se concentrant sur les huit mots suivants : "faillite", "débiteur", "déficit", "inflation", "liquidation", "pauvreté", "récession"; "crise". L'effet de saisonnalité est supprimé et une analyse en composantes principales est réalisée en se basant sur la matrice de corrélation des huit variables sélectionnées.
Les auteurs comparent ensuite cette variable "Google Trends Negative Sentiment" (GNTS) avec deux autres indicateurs classiques de "sentiment" : le VIX (implied volatility index) et l'indice de confiance des ménages de l'INSEE. La corrélation entre le GNTS et les deux variables est forte : 0,74 avec le VIX et -0,63 avec l'indice de confiance des ménages.
En se basant sur le fait qu'un grand nombre d'investisseurs individuels (noise traders) et sur la thèse selon laquelle, dans leur allocation stratégique, les fonds de pension ont des comportements "anormaux" qui sont le reflet des individus dont ils sont les mandataires, les auteurs ont testé économétriquement la relation entre les flux equity et bond des fonds de pension, et la variable GNTS (avec variable de contrôle (VIX, indice de confiance classique et rendement passé du marché), et ont montré que la variable GNTS a un impact significatif sur les flux des fonds de pension. Lorsque les investisseurs individuels sont pessimistes (via analyse Google), les investisseurs ont tendance à vendre des actions pour acheter des obligations.
Ensuite, les auteurs regardent l'impact de la variable GNTS sur le rendement du marché action avec un modèle VAR permettant d'étudier les dynamiques entre les variables, en faisant la distinction entre petites et grandes entreprises. L'effet de la variable "sentiment" laggé d'une semaine est plus fort sur les petites entreprises, en accord avec la littérature existante. Les tests sont réalisés en considérant les variables en niveau ainsi qu'en variation, mais les conclusions restent les mêmes.
Une fonction de réponse impulsionnelle est analysée, afin de voir l'effet sur une variable d'un choc d'une autre variable. Quatre cas sont étudiées en données hebdomadaires : (1) l'effet d'un choc de 1 standard-deviation de la variable GNTS sur le rendement des actions des petites entreprises, (2) l'effet d'un choc de la variable GNTS sur le rendement des actions des grandes entreprises, (3) l'effet d'un choc du rendement des petites entreprises sur la variable GNTS et (4) l'effet d'un choc du rendement des grandes entreprises sur la variable GNTS.
Un choc sur les rendements n'a pas d'effet direct sur l'indicateur de sentiment, tandis qu'un choc sur la variable sentiment a un impact significatif sur nos deux variables de rendements, avec un impact davantage prononcé sur les petites entreprises. Dans cette situation, on peut alors considérer deux hypothèses (1) la réponse au choc capture une réaction rationnelle des investisseurs à un changement d'incertitude en ce qui concerne l'état de l'économie ou (2) la réponse au choc est en fait due a une mauvaise réaction des investisseurs et à un mispricing, en accord avec la théorie de la finance comportementale.
Pour répondre à cette question, il est possible de voir s'il existe un effet "reversal" après le choc initial, qui pourrait se traduire comme un retour à la valeur fondamentale suite à un mispricing. L'analyse de "l'impulse function response" confirme l'hypothèse numéro 2 ; la baisse initiale suite à une hausse du sentiment de pessimisme est ensuite corrigé en moyenne en 4 semaines.
Points intéressants
(1) Les auteurs relient le comportement des investisseurs individuels qui peut être capturé par Google Trends au comportement des investisseurs institutionnels sophistiqués, en étudiant l'impact sur les flux des fonds d'un changement de "sentiment" des individus (outflows from equity and inflows to treasury bonds suite à une hausse du "pessimisme" des investisseurs individuels).
(2) La méthode permettant de vérifier si la réponse est rationnelle ou non consiste à regarder s'il existe un effet "reversal" de retour à une valeur fondamentale après un choc initial au niveau de la variable de sentiment.
(3) Des variables de contrôle VIX et indice de confiance de ménage sont insérées dans le modèle, et un test de causalité de Granger montre que le GNTS "lead" les variables de contrôle (via meilleur timing).