Paul C. Tetlock & Maytal Saar-Tsechansky & Sofus Macskassy, 2008. "More Than Words: Quantifying Language to Measure Firms' Fundamentals," Journal of Finance, American Finance Association, vol. 63(3), pages 1437-1467, 06.
Résumé de l'article
Les auteurs s'intéressent à une mesure qualitative des fondamentaux d'une entreprise, en étudiant le ton des articles de presse paru pour chaque entreprise dans le Dow Jones News Service (DJNS) et le Wall Street Journal (WJS) sur la période 1980 à 2004. Plus précisément, les auteurs utilisent le "Harvard-IV psychological dictionnary" pour identifier les mots négatifs présents dans chaque article, à la manière de Tetlock (2007). Cette analyse est totalement automatique, ce qui permet de rester objectif et transparent en simplifiant de plus la réplication de l'étude.
Au total, ce sont plus de 350.000 news qui sont analysées par les auteurs pour un total de 1063 entreprises ayant appartenu au S&P500 entre 1980 et 2004. Des filtres sont mis en place pour contrôler que le nombre de mot négatif soit suffisant pour identifier le "ton" de la news. Cette variable de pessimisme est ensuite standardisée, et deux études distinctes utilisant cette variable sont réalisées : (1) sur le bénéfice des entreprises et (2) sur le cours boursier des entreprises.
En ce qui concerne l'effet du "pessimisme" des médias sur le bénéfice, différents indicateurs sont testés, le principal étant le standardized unexpected earnings (SUE). De nombreuses variables de contrôle sont intégrées au modèle, comme le lag des bénéfices, la capitalisation, le book-to-market ratio, la forecast des analystes... Le benchmark return est estimé en utilisant le modèle à 3-facteurs de Fama-French (1993). Etant donné que la date d'annonce des bénéfices est parfois imprécise, une fenêtre conservatrice est adoptée, allant de 30 jours avant l'annonce jusqu'à 3 jours avant (au lieu de la veille si la date d'annonce issue de Compustat était parfaitement précise). Même en considérant cela et dans un modèle avec un très grand nombre de variables de contrôle, la variable neg[-30;-3] est significative, que ce soit en prenant les news du DJNS ou celles du WSJ, et en considérant différents indicateurs de bénéfice.
Le même type de test est ensuite réalisé avec comme variable dépendante la variation boursière journalière, avec toujours un modèle avec variables de contrôle (priced risk factors de Fama-French et firm's characteristic de Daniel et al.). Ici bien évidemment, la variable "pessimisme" est calculée jusqu'à la veille de la variation daily étudiée. Plus précisément, l'idée est de voir si les news publiées avant la fermeture du marché de la veille permettent de prévoir la variation du cours boursier du lendemain. D'un point de vue technique, les auteurs considèrent donc les news publiées avant 3:30pm le jour 0 pour le DJNS et le matin du jour 0 pour le WJS dans l'estimation du rendement daily d'une action le jour 1.
Comme pour l'étude sur les bénéfices, la variable "pessimisme" est significative et le coefficient est négatif, en accord avec la théorie. Il est d'ailleurs intéressant de voir que le coefficient est deux fois plus fort en ce qui concerne les news DJNS (intraday story) par rapport aux news WSJ qui sont publiées le matin et résume l'activité de la veille. Cependant, le R-squared est très faible, comme prévu selon la théorie de l'efficience des marchés. Le marché réagit rapidement à l'information, mais il existe tout de même un très léger délai ... délai qui pourrait donc être potentiellement exploité avec une stratégie de trading simple (investissement long pour un jour sur les entreprises avec news positives la veille et short sur les entreprises avec news négatives ; réajustement du portefeuille chaque soir en fonction des news de la veille ou de la journée).
En ignorant les coûts de transaction (et le price impact), les auteurs montrent que cette stratégie apporte un rendement de 21,1% par an sur la période d'étude. En comparant le rendement de ce portefeuille avec le rendement du marché ajusté par la taille, le book-to-market et le momentum factor en utilisant le Fama-French three-factors et le Carhart four-factors, les auteurs montrent qu'une stratégie avec réajustement journalier apporte un rendement anormal médian de 9,4 bps par jour sur la période. Ce rendement journalier amène à un rendement annuel très important en absence de frais de transaction ; mais il suffit que les frais de transaction pour un aller/retour (le portefeuille étant repondéré chaque jour en fonction des news nouvelles) soient de 10 bps, et le rendement anormal disparait.
La dernière partie de l'étude est consacrée à d'autres versions de la variable "pessimisme", en ajoutant certains mots comme "earn" pour améliorer certaines relations. Les auteurs concluent que bien que les marchés semblent sous-réagir (et donc en désaccord avec la théorie de l'efficience des marchés), la conclusion de cette étude est en accord avec le modèle de Grossman-Stiglitz (1980) dans lequel c'est justement cette légère imperfection qui amène les traders à acquérir de l'information à un certain coût.
Points intéressants
(1) L'article est co-écrit avec Sofus Macskassy de Fetch Technologies (entreprise de web data extraction)
(2) Utilisation du Fama-French 3-factors (overall market factor, factors related to firm size and book-to-market equity) pour ajuster la performance du portefeuille. Pour le marché obligataire, Fama-French identifient 2 facteurs que sont la maturité et le risque de défaut pour ajuster les performances.
(3) Les auteurs séparent l'échantillon à partir de 1995, afin de prendre en compte l'arrivée d'internet et la mise en ligne du site du WSJ.
(4) Il n'y a pas d'effet reversal, indiquant que les news apportent donc une information nouvelle à propos des fondamentaux, et non juste un "bruit" comme cela est le cas dans Tetlock (2007) sur le contenu du "Abreast of the Market" du WSJ et l'impact sur le Dow Jones.