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L'essor de l'intelligence artificielle : vers un monde sans travail contrôlé par des robots ?

24/01/2018 Le Captain' Chômage
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Oh toi, vilain robot qui lit ce message ! Tu crois que tu vas pouvoir remplacer un jour le Captain' en publiant automatiquement des articles rédigés avec ton intelligence artificielle ? Et bien saches que nous, les humains et les super-héros, nous allons lutter ! Pour garder nos emplois ! Contre la machine ! Hmmmm, ça ne vous fait pas penser à quelque chose cela ? Mais si ! Le mouvement des Luddites au début du XIX siècle, lors duquel des ouvriers du secteur textile ont détruit des métiers à tisser par peur que la machine ne les remplacent. Depuis maintenant plus de deux cents ans, le sujet de l'homme contre la machine revient à chaque nouvelle révolution technologique. Et aujourd'hui, le débat sur l'impact de l'essor de l'intelligence artificielle sur l'emploi fait rage. D'un côté, les optimistes, indiquant que, comme pour toutes les avancées technologiques passées, l'intelligence artificielle va finalement créer de nouvelles opportunités d'emploi et de croissance. De l'autre, les pessimistes, pour qui "cette fois-ci, c'est différent" ; l'intelligence artificielle ne remplaçant plus uniquement les bras de l'homme, comme dans les révolutions précédentes, mais désormais aussi son cerveau. Sans bras ni cerveau, l'humanité serait alors condamnée.

 

Mais en fait, c'est quoi l'intelligence artificielle (IA) ? L'IA est un ensemble de théories et de techniques mises en oeuvre en vue de réaliser des machines capables de simuler l'intelligence. Bon, on n'est pas très avancé avec ça ! Prenons plutôt un exemple d'une sous-partie de l'IA, le machine learning (apprentissage automatique), qui est sûrement le plus simple à comprendre. Par exemple, le Captain' a utilisé du Machine Learning dans son article académique récemment publié (voir "Intraday online investor sentiment and return patterns in the U.S. stock market", JBF, 2017) pour analyser de manière automatique le sentiment (positif ou négatif) de plusieurs millions de messages publiés sur les réseaux sociaux. Le Captain' a "donné" à sa machine un grand nombre de messages positifs et négatifs et a demandé gentiment à son ordinateur d'apprendre tout seul ce qui fait qu'un message est plutôt positif ou négatif (pour ensuite classifier tous les messages). Par exemple quels sont les mots ou groupes de mots utilisés plutôt dans les messages positifs et ceux utilisés plutôt dans les messages négatifs. Alors, bon, on n'est pas ici dans Terminator ni dans l'intelligence artificielle de haut vol qui gagne au jeu de Go, mais globalement la mini intelligence artificielle que j'ai utilisé a remplacé un humain, qui aurait sinon dû regarder les messages un par un et indiquer pour chaque message le sentiment associé.

 

Si on étend cela à des domaines plus vastes et à des intelligences artificielles plus développées, il est possible d'imaginer plein de cas où une IA pourrait remplacer l'homme. Par exemple, les voitures autonomes "intelligentes" vont-elles remplacer totalement les chauffeurs de taxi ? Des algorithmes peuvent-ils remplacer les médecins en apprenant de manière intelligente de l'ensemble des diagnostics passés ? Et le Captain' va t-il se faire remplacer par des robots journalistes qui vont analyser les articles qui attirent les lecteurs et répliquer/modifier cela de manière intelligente ? Tout cela n'est pas de la pure science fiction ; la Google Car automatique est fonctionnelle ; IBM Watson réalise des diagnostics médicaux en ayant "appris" à partir d'une base de données de 1,5 million de dossiers de patient et de 2 millions de pages de journaux médicaux; et le Washington Post a utilisé l'année dernière une intelligence artificielle baptisée "Heliograf" pour rédiger plusieurs centaines d'articles.

 

Selon une étude de Frey et Osborne "The Future of Employment: How Susceptible Are Jobs to Computerisation?" (2017), 47% des emplois aux Etats-Unis ont un risque élevé d'être automatisé dans les deux prochaines décennies. Les emplois dans le secteur du transport et de la logistique, le support administratif et les emplois manufacturiers étant particulièrement à risque. Globalement, les emplois peu qualifiés et à bas salaire sont à risques ; tandis que les emplois qualifiés sont plus protégés, comme le montre le graphique ci-dessous (extrait de "Is This Time Different? The Opportunities and Challenges of Artificial Intelligence", Furman).

 

emploi-risque-intelligence-artificielle

 

La question n'est donc pas de savoir si la machine va remplacer l'homme dans certains secteurs : la réponse est oui ! La vraie question est de savoir si la machine va se substituer à l'homme en le remplaçant dans la grande majorité des secteurs, ou bien si la machine va être complémentaire à l'homme en le remplaçant dans certains secteurs et en créant des opportunités pour l'homme dans d'autres.

 

Pour nous aider, le National Bureau of Economic Research a eu la bonne idée de publier un ouvrage intitulé "Economics of Artificial Intelligence" regroupant des articles de chercheurs de renommée internationale (Stiglitz, Brynjolfsson, Aghion, Cowen, Sachs, Varian..) sur la thématique de l'intelligence artificielle. Avec certains articles traitant directement de l'impact sur l'emploi, et venant ainsi compléter l'excellent article d'Acemoglu et Restrepo (2017) "Robots and jobs: Evidence from the US". Dans cet article, Acemoglu et Restrepo ont montré, en analysant l'évolution de l'emploi au niveau local aux Etats-Unis, que le niveau de robotisation est négativement relié au niveau d'emploi: un robot pour 1000 habitants de plus entraîne une baisse de l'emploi de 0,18 à 0,34 point de pourcentage. Le modèle est plus complexe que cela, mais globalement les auteurs ont relié les données de la carte ci-dessous avec les données de l'emploi au niveau local, en contrôlant de l'effet de la mondialisation et de pas mal d'autres choses pour isoler l'effet de la robotisation.

 

restrepofig3

 

 

Mais attention avant de conclure à la théorie du grand remplacement version robot: dans un article publié sur VoxEu (ici), Acemoglu et Restrepo indiquent tout de même que, bien que les effets soient significatifs (quelques centaines de milliers d'emplois), cela ne représente qu'une petite fraction de l'emploi ; les résultats ne favorisent donc pas nécessairement la version "pessimiste" de l'évolution technologique d'un remplacement total de l'homme par la machine.

 

"We believe as well that the negative effects we estimate are both interesting and surprising, because of the small offsetting employment increases in other industries and occupations. So far, there are relatively few robots in the US economy, and so the number of jobs lost due to robots has been limited to between 360,000 and 670,000 jobs. If the robots spread as predicted, future aggregate job losses will be much larger. For example, BCG (2015) has an 'aggressive' scenario in which the world stock of industrial robots would quadruple by 2025. In our estimates, that would imply a 0.94-1.76 percentage points lower employment to population ratio, and 1.3-2.6% lower wage growth between 2015 and 2025. These are sizable effects. But it should also be noted that even under the most aggressive scenario, we are talking about a relatively small fraction of employment in the US economy being affected by robots. There is nothing here to support the view that new technologies will make most jobs disappear and humans largely redundant." (Acemoglu & Restropo, 2017)

 

Selon une autre étude de James Bessen ("AI and Jobs: the role of demand", 2018), l'impact de l'intelligence artificielle sur l'emploi dépendra en fait de ce que l'on appelle l'élasticité de la demande ; c'est à dire de la réaction de la demande à une variation de prix. En analysant les données dans le secteur du textile, de l'acier et de l'industrie automobile, Bessen a montré qu'un choc technologique avait un effet en U inversé sur l'emploi. Dans un premier temps, l'automatisation a tendance à créer des emplois dans le secteur "attaqué" par la machine. La demande étant très élastique au départ (et les prix très élevés), la baisse des prix provoquée par la première vague d'automatisation a tendance à entraîner une forte hausse de la demande pour le produit, et donc une hausse de l'emploi. Par exemple, même s'il faut moins d'hommes pour fabriquer une voiture après l'arrivée de la machine, si la mécanisation entraîne une forte baisse des prix, alors le nombre total de voitures vendues augmentera et le nombre total d'employés dans le secteur automobile augmentera aussi. Mais, dans un second temps, une fois que les prix ont déjà bien baissé, la demande devient de plus en plus inélastique ; bien que l'automatisation permette toujours de baisser les coûts, l'effet devient moindre et l'impact d'une baisse de prix sur la demande devient quasiment nul. L'emploi diminue donc par la suite. La machine est donc complémentaire de l'homme au départ, puis se substitue à l'homme par la suite..

 

ai-effet-emploi

 

Mais peut-on étendre les résultats empiriques des études basées sur la robotisation dans les années 1990-2010 au mouvement actuel relatif à l'essor de l'intelligence artificielle ? Est-ce que "This time is different" (voir "This time is different: Eight centuries of financial folly" de Reinhart & Rogoff pour ce même genre de questions sur les crises) ? Impossible honnêtement de répondre à cette question... Simplement car nous manquons terriblement de données. L'impact sera t-il le même dans les différentes industries ? Selon le niveau de compétition ? Selon la taille des entreprises ? Selon la structure du marché ? Selon la vitesse d'adoption de la technologie ? Selon la flexibilité du marché du travail ? A cet égard, deux chercheurs de la Stern University à New York ont récemment publié un article insistant sur le besoin de collecter des données, au niveau de chaque entreprise, permettant de mesurer le degré d'avancement et d'adoption de l'intelligence artificielle, pour ensuite étudier le lien entre cette nouvelle variable et l'évolution de l'emploi (voir "AI, Labor, Productivity and the Need for Firm-Level Data"). Mais pour le moment, pas de données, pas de conclusion (comme on dit en économie) !

 

Conclusion:  Il y a de nombreux scénarios intéressants présentés dans les différents papier du NBER ("Economics of Artificial Intelligence"), allant du super-humain sauvant la planète de sa destinée Malthusienne à celle d'un monde totalement sans travail (mais en fait pourquoi travailler si la richesse est créée par des machines, et que l'on peut juste s'amuser toute la journée...). Du point de vue d'un économiste, la grande question est de savoir si l'impact de l'intelligence artificielle sur l'emploi sera à peu près similaire à celui de la robotisation des années 1950-2010. Et dans ce cas là, on a des données historiques et on peut essayer d'en estimer les effets. Ou bien si la révolution de l'IA est totalement différente... Et dans ce cas, et bien on n'en sait pas grand chose ! Cela va détruire des emplois dans certains secteurs: oui ! Cela va augmenter les inégalités à court-terme: très certainement ! Est-ce que cela va détruire globalement des emplois ou augmenter les inégalités à long-terme ? Bonne question ! Le Captain' a posé directement cette question à l'intelligence artificielle de Google (Google Assistant ; le Siri de Google)... Bon, pour le moment on est sauvé !

 

google-captain

 


Cet article est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas de Modification 4.0 International. N'hésitez donc surtout pas à le voler pour le republier en ligne ou sur papier.


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Le Captain'

Mais qui se cache derrière le masque du Captain'? Bruce Wayne? Peter Parker? Jean-Pierre Pernaut? Un lobbyiste de JP Morgan?

Et bien désolé de vous décevoir... Mais le Captain' est simplement un jeune docteur en Sciences de Gestion (Finance) de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, assistant d'enseignement et de recherche à l'IESEG School of Management à Paris, et qui profite de quelques heures par semaine pour arrêter de geeker sur ses thématiques de recherche en s'amusant à rédiger des articles plus ou moins sérieux sur l'économie et la finance.

Pour une description plus complète de ma vie, c'est ici --> Mais qui est donc le Captain'?. Et pour mes recherches académiques, c'est par là.

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