Le Captain' compte désormais sur le renfort de nouveaux super-héros afin de lutter contre les forces démoniaques de la démagogie économique et de l'élitisme. Aujourd'hui, j'ai le plaisir de vous présenter la tribune de Jean-Yves Archer, énarque (promotion Leonard de Vinci) et spécialiste du conseil en rapprochement d'entreprises, au sein du cabinet Archer.
" Travailler et vivre au pays " était un slogan des partis de gauche dans les années 1970 immédiatement postérieur aux luttes paysannes du Larzac qui refusaient l'extension de terrains militaires. Autant dire que la bataille autour de l'espace foncier est une vieille histoire et que la notion d'aménagement du territoire est toujours une idée neuve. Hélas cette idée est portée par des outils dont la rouille rend certains rouages fragiles et transparents.
En 1979, le jeune Jean-Louis Bianco ( futur directeur de la campagne présidentielle de Ségolène Royal en 2007 ) développait dans les Alpes de Haute-Provence avec l'accord du Ministère de l'Intérieur - le concept d'Agence de Service Public qui réunissait plusieurs villages autour de sujets mis en commun. Sans schématiser, ceci a contribué à l'émergence des futures communautés de communes issues de la loi de 1992 par opposition aux regroupements autoritaires de communes posés par la loi du 16 Juillet 1971 dite loi Marcellin.
La décentralisation des lois Defferre de 1982 et autres décrets d'application ont donné leur liberté aux communes qui exercent désormais leurs pleines compétences : tout ceci a parfois facilité l'aménagement du territoire. Parfois, tout s'est embrouillé et on a ainsi pu voir des zones artisanales ou des mini-zones industrielles se côtoyer et demeurer hélas à moitié vides.
L'aménagement du territoire qui concerne l'habitat, les transports, les activités commerciales recherche donc une harmonie spatiale entre les besoins humains. Typiquement, Paris ( pris au sens large ) est une aberration : beaucoup d'emplois sont à l'Ouest ( La Défense, etc ) tandis que les logements sont à l'Est depuis Montreuil jusqu'à Marne-la-Vallée. L'aberration est à son comble lorsqu'on analyse les pratiques ferroviaires et que l'on découvre que de plus en plus de personnes viennent travailler à Paris tout en vivant de plus en plus loin : Vendôme ( effet TGV ), Rouen, Montargis et Reims ( Effet LGV ).
Toutes les études le démontrent à l'unisson, en vingt ans, les temps de trajet " domicile-travail " ont vraiment augmentés et ceci est un des premiers échecs de l'Etat et de l'aménagement du territoire. Parenthèse intéressante, l'Etat n'a jamais voulu en 2010 inclure dans la pénibilité le trajet domicile-travail même lorsque celui-ci dépassait trois heures par jour. ( débat sur les retraites ). Ces navettes, ce " commuting " quotidien est épuisant et réduit le temps libre à sa plus simple expression : il démontre la rouille d'un bel outil initialement performant qui s'appelle la DATAR : Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Action Rurale.
Instituée par le Décret du 14 Février 1963 ( - il y a donc près de 50 ans - ), la DATAR a eu plusieurs pères dont le célèbre homme politique de la IVème République : Eugène Claudius Petit qui ne cessa de militer pour que l'on évite ce que le géographe Jean-François Gravier avait nommé " Paris et le désert français " dès 1947. De 1963 à 1974, l'action de la DATAR fut relativement aisée car il s'agissait de répartir des surplus avec des moyens budgétaires : ainsi, pour attirer telle usine à tel endroit, l'Etat lui accordait une PAT : prime à l'aménagement du territoire généralement définie par emploi net créé.
A partir de la crise de 1973, les choses se sont tendues et le freinage budgétaire a contraint la DATAR, initialement définie comme une Administration de mission ( de " coups " ) à devenir une structure économe de ces deniers ( administration de " coûts " ). De hautes personnalités comme Olivier Guichard et surtout l'éminent Jérôme Monod ( réputé pour sa parfaite connaissance de la carte cantonale ) avaient des capacités d'influence sur le secteur privé que n'ont pas eu leurs successeurs tels le Préfet de région André Chadeau ou plus récemment le préfet Nicolas Jacquet voir l'actuel " datar " le Préfet Emmanuel Berthier. A sa décharge, le climat de disette budgétaire est encore pire qu'il y a dix ans.
L'aménagement du territoire n'est plus militant comme du temps de Philippe Lamour qui écrivait dans 60 millions de Français ( en 1967 ) : "L'aménagement du territoire /.../ c'est la croisade de tous les Français pour la conquête et la construction de leur avenir. C'est l'expression nouvelle de l'esprit civique ". Les militants se sont estompés au profit de fins connaisseurs des rouages de l'Etat : là où il fallait continuer à générer des externalités ( au sens économique de ce terme ) la DATAR s'est faite engluer dans des débats subalternes et ainsi la loi Pasqua du 4 Février 1995 n'a pu aboutir à faire émerger un de ses principaux buts : l'élaboration d'un schéma national d'aménagement et de développement du territoire.
Le quinquennat qui s'amorce permettra-t-il de relancer la notion d'aménagement du territoire, nul ne le sait encore. En revanche, le bilan actuel est alarmant : 1 ) Congestion de la Région parisienne. 2 ) Crise généralisée des banlieues. 3 ) Désertification rurale ici ou là. 4 ) A l'inverse, rurbanisation ( citadins revenant vers la campagne ). 5 ) Mitage des terres agricoles fertiles par des lotissements ( Exemple carte aérienne de la Seine et Marne entre 1999 et 2009 ). 6 ) Friches industrielles non réhabilitées.
Tous ces éléments incontestables plaident pour une relance de la DATAR et des Fonds régionaux européens qui doivent accepter de voir leurs instances de décisions ouvertes à des associations et à des personnalités du monde de l'entreprise. Seule innovation récente : la notion de climat et de trame verte et bleue que les lois Grenelle I et II ont incluses dans l'aménagement du territoire. Bilan mitigé...
A l'heure où la mondialisation rend mobiles les capitaux et le choix des lieux de production ( donc le lieu où vit le facteur travail ), il nous semble urgent de fédérer les politiques d'attractivité du pays et l'aménagement du territoire. A l'heure où l'on sait qu'il vaut mieux ( coût pour la collectivité publique ) qu'une personne âgée reste chez elle le plus longtemps possible, on peut souhaiter que le plan dépendance ( ou autonomie pour utiliser le nouveau vocable ) comporte un volet aménagement du territoire. Il y a plusieurs années, la Poste avait développé le concept de polyvalence postale en zone rurale. Cela voulait dire, par exemple, que la distribution du courrier pouvait s'accompagner de distribution de quelques petites "courses" : pain, journal.
Face au tassement de son chiffre d'affaires dû notamment au développement des mails et à l'ouverture à la concurrence, la Poste s'est repliée sur sa coquille et propose des agences postales de type croupion dans des coins de supérettes. Est-ce économiquement valable pour son compte d'exploitation ? Certainement, oui.
Est-ce pertinent pour des millions de gens ? Un calcul macro-économique sérieux a-t-il été fait ? On présuppose la réponse et on ne peut que regretter que la rouille des outils suscitée par les décideurs ne soit l'inconfort journalier de millions de citoyens devenus, sur ce thème, de simples sujets.