Lorsqu'il était encore jeune et innocent, Larry Summers a commencé l'un de ses papiers académiques par une phrase devenue célèbre "There are idiots. Look around you". Depuis, le petit Larry est devenu grand, et son CV s'est plutôt bien rempli. Chef économiste de la Banque Mondiale à partir de 1991, médaille John Bates Clark en 1993 (équivalent prix Nobel pour jeune économiste), secrétaire du Trésor sous Clinton, puis président de l'Université d'Harvard et actuellement directeur du "National Economic Council". Pas mal, non ? Mais de qui Larry Summers parle t-il lorsqu'il évoque les "idiots" ? Les méchants politiciens ? Les agences de notation ? Et bien non, pour Lawrence Summers, les idiots sont ceux que l'on appelle les "noise traders", c'est à dire les agents n'investissant pas sur la valeur fondamentale d'un actif mais davantage sur une fausse intuition, un faux signal ou au hasard.
Vous allez me dire que ce n'est pas grave qu'il y ait des idiots sur le marché ! C'est même plutôt une bonne chose si vous êtes un investisseur "intelligent". En effet, selon les travaux célèbres de Friedman (1953) ou de Fama (1965), si des investisseurs irrationnels (= "des idiots") sont présents sur un marché, alors des investisseurs sophistiqués vont profiter de cela en adoptant une stratégie inverse (contrarienne) de celle des investisseurs irrationnels, et en attendant que la valeur de l'actif retrouve sa valeur fondamentale. Prenons un exemple pour expliquer cela. Supposons qu'une force supérieure révèle au monde que la valeur fondamentale d'un actif est de 1000 euros. Si un jour des "idiots" décident par hasard ou à cause d'un signal mal interprété d'acheter cet actif à 1005 euros, alors des investisseurs sophistiqués (intelligents) vont prendre la position inverse en vendant (short-sell) l'actif à 1005 euros avec un objectif de rachat à 1000. A un certain moment, la valeur de l'actif va retrouver sa valeur fondamentale de 1000 euros ; les idiots auront alors perdu et les intelligents auront gagné. Une sorte de sélection naturelle a alors lieu, et petit à petit les idiots sortent du marché à force de perdre contre les intelligents. Ainsi, la valeur d'un actif ne dévierait jamais bien longtemps de sa valeur fondamentale.Oui mais Captain', dans la réalité, les investisseurs ont un horizon de placement suffisamment long pour encaisser les potentielles pertes à court-terme et attendre que l'actif en question retrouve sa valeur fondamentale, non ? C'est en parti vrai, mais il est difficile, même pour un investisseur de long-terme étant persuadé que sa stratégie est la bonne, d'encaisser de fortes pertes à court-terme. Par exemple, supposons que vous soyez manager d'un fonds d'investissement. Vous avez reçu un message divin vous indiquant que l'or est actuellement sur-évalué par rapport à sa valeur fondamentale. Vous pariez donc à la baisse sur le cours de l'or, en attendant un retour à la valeur fondamentale. Mais à court-terme, le cours de l'or ne cesse d'augmenter, alors que pourtant rien n'a changé d'un point de vue fondamental. Pourquoi ? Simplement car les "noise traders" suivent un comportement moutonnier, et achètent de l'or car "les autres le font, alors ça doit être une bonne idée". Vous aurez beau dire "le marché est irrationnel et MOI j'ai raison, à long-terme cela va payer", pas sûr que les investisseurs vous fassent longtemps confiance ou bien même que votre fond soit capable de répondre aux appels de marges en encaissant les pertes latentes.
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